Secrets de Pays. N° 9, 1er semestre 2017

« Qu’est devenue la Madelon ? » chantait Charles Trenet en 1960. Aujourd’hui, cent ans après la Grande Guerre, la Madelon et les Poilus de 14-18 ont tous disparu, jusqu’au dernier témoin.

Disparus, certes, mais pas dans notre mémoire où leur souvenir suscite tant d’émotions. Ne s’agissait-il pas de nos grands-pères ou arrière-grands-pères ? Cruels destins que les leurs, qui furent envoyés dans des batailles, les plus terribles jamais connues.

Le 2 août 1914, mobilisation générale. Tous les hommes de l’armée active, nés à partir de 1891 cela va de soi, mais aussi la réserve, de la décennie précédente, et ceux de la territoriale dont les plus âgés avaient trente-neuf ans, sont appelés. Même les « inaptes au service » durent bientôt passer à nouveau devant les médecins de la commission de réforme pour vérifier les capacités des resquilleurs qui auraient été trop vite exemptés. Ils étaient souvent orientés vers les services auxiliaires et rejoignaient à l’arrière ceux qui exerçaient des métiers indispensables à la vie de la nation : facteurs, boulangers, télégraphistes, ouvriers spécialisés dans l’industrie, employés des chemins de fer, etc. On amnistia les bagarreurs qui avaient eu des condamnations en correctionnelle. Ils ne furent pas les moins intrépides. Ne restaient plus dans les campagnes, loin des frontières bousculées, que les hommes mûrs, les vieillards, les femmes et les enfants.

L’histoire officielle a voulu transmettre l’image d’un départ dans la joie et les chants. La correspondance de familles nous dit qu’à la fête de Faux, le 15 août 1914, « tout le monde pleurait »… malgré l’illusion que la guerre serait courte et les cultivateurs de retour pour les vendanges.

À Bergerac, la ville, fière de son 108e régiment d’infanterie, s’organise. Des hôpitaux sont préparés, la presse s’enflamme. Les blessés arrivent, accueillis en héros. Bientôt le premier mort, le premier enterrement. La cérémonie rassemble toutes les autorités locales : discours, cortège, couronnes de fleurs. Moins de pompe pour les suivants, il y en aura tant. Alors le Journal de Bergerac égrènera les condoléances et le détail des nombreuses médailles et citations décernées à nos vaillants soldats tandis que les nouvelles du front sont invariablement encourageantes.

Le Bergeracois est loin des combats mais la guerre ne s’en fait pas moins sentir avec les restrictions, les difficultés pour exploiter les terres, les prisonniers et les réfugiés à héberger, la Poudrerie à faire fonctionner à plein régime.

À Saint-Aubin-de-Lanquais, comme partout ailleurs dans la France rurale, on subit. Les hommes manquent pour les travaux agricoles, l’artisanat. Les permissions ne viendront que si tard. Les femmes se retrouvent seules et beaucoup, sans ressources. La municipalité doit voter des secours, demander le retour du boulanger, contrôler les permissions agricoles, gérer une vie désorganisée.

Ce n’est pas moins d’une centaine d’hommes nés dans ce village ou y résidant à vingt ans qui se trouvent impliquée tout au long du conflit. La guerre n’en finit plus. Le chagrin et la désespérance gagnent du terrain. L’année 1917 est celle des mutineries et de l’amertume des soldats contre les « planqués » de l’arrière. Les mauvaises nouvelles apportées par le maire sont arrivées tandis que des familles restent dans l’incertitude et l’attente vaine du retour de disparus.

À Saint-Aubin-de-Lanquais, il y aura dix-huit « morts pour la France », dix-huit noms à inscrire sur le Livre d’Or de la commune. Le plus âgé avait trente-six ans, le plus jeune vingt ans. Les premiers sont tombés dès septembre 1914, dans l’Aube ou sur la Marne, pour empêcher la marche de l’ennemi jusqu’à Paris. Le dernier est décédé des suites de ses blessures lors des ultimes tentatives d’avancée des Allemands, le 9 octobre 1918, si près de l’armistice.

Partout en France, la fin des hostilités venue, les villes et les bourgs, pour célébrer leurs héros, érigent statues et monuments. Les habitants sont sollicités pour participer à leur financement. Saint-Aubin-de-Lanquais n’y échappe pas et lance, en 1925, une souscription pour l’érection de son monument aux morts. La population tient à participer, même modestement, chacun à la mesure de ses moyens. En mai 1927 vient le jour de l’inauguration en présence des autorités, avec la messe, les discours et les fleurs selon un rituel bien rodé. Un monument pour que survive la mémoire de nos « glorieux sacrifiés ».

« Nos Glorieux Sacrifiés », Éliane Promis, Feuille à Feuille Édition, 2016.